pourquoi-les-medias-actuels-n-arrivent-plus-a-transmettre-la-veritable-essence-du-rap
Avant de commencer cet article, entendons-nous bien sur un point important :
Rap Chroniks ne prétend en aucun cas posséder la science infuse de la culture hip-hop. Nous ne sommes personne pour dire ce qui est ou ce qui n’est pas du rap, et chacun est libre d’en avoir sa propre définition. Cependant, nous sommes très attachés à une certaine vision du hip hop. La pureté, l’authenticité, la débrouillardise, la passion, les textes qui sortent des tripes... Cette vision que nous appelons “Essence du Rap”, nous souhaitons la faire renaître et la partager avec vous. Voilà notre seule et unique ambition. Merci de votre compréhension et bonne lecture !

Les Médias VS Le Rap

Les médias et le rap n’ont jamais fait bon ménage. En effet, ces deux entités sont assez contradictoires.

D’un côté, on a les médias qui relaient des messages relativement simples et ciblés, recherchant majoritairement le buzz, et s’organisant en entreprise (structure organisée).

Et de l’autre on a le hip-hop, ce courant anti-système qui cherchent à transmettre des messages profonds et universels, à travers un Art, le rap (structure désorganisée), qui est voué à évoluer et à se transformer en même temps que l'artiste qui le pratique.

Dans cet article, nous allons essayer de comprendre comment certains médias se sont accaparés au fur et à mesure la culture hip-hop et ont, parfois de façon totalement inconsciente, déformé la Véritable Essence du Rap...

“Réduis pas la culture à fred de Sky” - BB Jacques, Opium

Revenons un peu en arrière…

Pour comprendre la source d’un problème, il est parfois nécessaire de revenir en arrière. L’année 2017 est une année exceptionnelle pour le rap français... Avec plus de 9 albums de rap positionnés dans le top 20 des meilleures ventes d’albums (bon Soprano ça compte pas vraiment comme du pera mais t'as capté), le rap devient cette année-là le genre musical le plus écouté en France, dépassant pour la première fois la variété française. 

Les 20 meilleures ventes d’albums en 2017 (source : Pure Charts)

Des années après le premier âge d’or du rap français (1990- 2000), ainsi qu’une longue période de flottement pour le rap avec la crise du disque (2007-2015), nous sommes en plein dans le deuxième âge d’or du rap français (2015 - aujourd’hui), et quoiqu’en disent les grands médias “d’informations”, (oui je met des gros guillemets, s/o BFMTV), le hip-hop vie bien. 

Évolution de la part physique et numérique des albums de rap français de 2007 à 2018 - source SNEP

Dès 2015, le rap s’ouvre donc de plus en plus avec des refrains chantés (s/o l’autotune), et devient “mainstream”. Les fans se multiplient, et on observe alors un phénomène de gentrification du rap.* À partir de ce moment-là, le rap français devient une énorme industrie qui vend. Les producteurs affluent, les albums de rap se multiplient, et l’argent coule à flot. Tout le monde est content.

L'intérêt pour le rap s'accroît, de ce fait plus de gens en écoutent et s’y intéressent. Une demande chez les auditeurs de rap se crée alors à partir du besoin suivant : l’envie de consommer du contenu exclusivement en rapport avec l’actualité rap. En réponse à cette demande, une offre adéquate se forme, la proposition de contenu exclusivement sur l’actualité rap à travers la création de médias spécialisés.

On voit ainsi apparaître de nombreux médias de rap, avec en tout premier Booska-p, créé en 2005 qui était déjà précurseur sur le hip-hop et présent lors du premier âge d’or du rap français, puis Raplume et Interlude, crées tous les deux en 2016, pour ne citer que les plus gros. Par la suite, des dizaines d’autres médias traitant de l’actualité rap se sont créés, boostés par la croissance des réseaux sociaux et de l’augmentation de la fast-consommation.**

*Le phénomène de gentrification se réfère à l'appropriation culturelle d’un genre musical par des artistes et des auditeurs extérieurs aux origines socio-économiques et culturelles de ce mouvement. (En gros, les bobos découvrent Nekfeu et se mettent à expliquer ce qu’est le rap aux mecs de cité qui baignent dedans depuis 30 ans mdr).

** La fast-consommation est un phénomène propre à notre société actuelle de surconsommation où les individus cherchent à consommer une grande quantité de contenu, de façon régulière.

Mais du coup c’est quoi le problème ? 

À la base, les médias spécialisés faisaient très bien leur travail et la multiplicité de ces derniers ne posaient aucun problème. Cela a d'ailleurs été une très bonne chose pour la mise en lumière du rap français à travers tout l'Hexagone ,et à l’international.

Mais voilà, on arrive en 2024, et le rap a beaucoup, beaucoup…beaucoup évolué.

On compte aujourd’hui des dizaines de sous-genres et styles différents qui tirent leur source du rap et d'autres courants musicaux comme l’afro ou l'hyper pop par exemple. La Trap, la Drill, les type beat JUL (oui cet homme a créé un sous-genre à lui tout seul mdr), le Cloud rap (lofi), le R&B, la Jersey, l’Afrotrap et j’en passe… Il y en a pour tous les goûts, et c’est une bonne chose en soi. Les différents courants musicaux se sont toujours inspirés d’autres courants, et c’est ce qui permet à la musique d’évoluer de générations en générations (sinon on serait toujours en train d’écouter la musique des troubadours du moyen-âge, ça serait un peu chiant non ?...). Bref, le rap lui-même s’est inspiré de courants comme le scat et le griot, la funk, le blues, le jazz ou encore la musique classique (notamment avec la pratique du sampling***).

Jusque-là, on ne voit donc toujours pas l’ombre d’un problème...

*** Le sampling dans le rap correspond à l'utilisation d'extraits de musique préexistants pour créer de nouvelles compositions. Cela permet aux artistes d'intégrer des éléments sonores reconnaissables dans leurs chansons, offrant ainsi une nouvelle dimension créative et un lien avec les influences musicales passées.

Le problème de l’assimilation au mouvement rap

...Mais voilà, à force d’être passé par de multiples sous-genres dans un si court laps de temps (2015-2020), l’ADN originel du rap, s’est peu à peu perdu.

Aujourd’hui, on présente par exemple des artistes tels qu’Aya Nakamura, Tiakola ou encore Wejdene comme des rappeurs ou des artistes de musique urbaines (ouah, oula désolé pour ce gros mot, ça m’a fait mal). Vous aimez sûrement ces artistes, et je suis moi aussi le premier à les écouter (à part Wejdene mdr désolé c’est au-delà de mes forces), mais il y a ici une véritable erreur “d’assimilation” de ces artistes au mouvement rap puisqu’ils ne le pratiquent même pas. Ce sont tous les trois des artistes de R’n’B (qui ont rajouté dans leur musique des sonorités africaines), qui ont tous featés avec des rappeurs, mais qui en aucun cas ne pratiquent ce genre musical. À leur insu, ces artistes ont donc été associés au mouvement rap.

Que cette erreur soit commise par des médias qui n’y connaissent rien (s/o SLT, TPMP, et j’en passe, pourquoi pas, on a l’habitude…) mais qu’elle soit commise par des médias spécialisés comme Booska-p, Interlude et Raplume, se présentant comme “relayeur de l’actualité rap”, là il y a un problème je trouve. 

Aya Nakamura, screenshot Booska-p - Instagram

Pour être très clair une dernière fois avant de passer au prochain problème : ll n’y aucun mal à écouter Aya Nakamura, Wejdene ou Tiakola. Mais la bonne assimilation d’un artiste à un genre musical est primordiale, que ça soit pour le respect du mouvement lui-même (ici le rap), mais également pour le respect de l’artiste en question (dans cet exemple, Aya Nakamura). Trop d’entités ont bâclé notre culture hip-hop, en l’appelant par tous les noms, musique urbaine (aïe une deuxième fois ça fait vraiment mal là), rap de cité, sous-culture, chansons violentes, etc… et nous ne pouvons pas nous permettre, à notre tour, d’en déformer son nom et son essence.

- “Attends, vas-y, il veut quoi, lui, là
- Il croit j'vais répondre ou quoi?
- Euh Ken, c'est Galvin, Galvin Lasagne de chez …
- On aimerait bien te parler parce qu'on...
- On développe donc
la branche musique urbaine de, euh
- De notre boîte donc euh (et vas-y toi)
- Et euh premièrement pour te féliciter
- Pour cette belle réussite que tu as fait...
- (Allez, arrache ta gueule)”
Nekfeu, Takotsubo

Le problème du désintérêt porté à la culture hip-hop

Le deuxième problème qu’on retrouve en ce moment chez les médias spécialisés et qui nuit à la culture rap c’est qu’ils sont pour la plupart, avant tout à la recherche du profit monétaire maximal. Et oui, on l’a dit précédemment, depuis 2015 le rap vend, les fans de rap s'accumulent, les médias se multiplient, l’argent coule à flot etc… tout le monde est content. 

Mais à constamment chercher à toucher le plus de monde possible pour générer de l’argent, la fonction première d’un média spécialisé, qui est de communiquer sur un sujet spécialisé (comme son nom l’indique), a peu à peu perdu tout son sens et sa valeur. On ne ressent plus chez certains médias la passion du rap pur, l’amour du hip-hop, et les internautes le ressentent sûrement (enfin j’espère sinon je suis en train d’écrire cet article pour rien mdr). 

Sorties Netflix, nouvelles vidéos de youtubeurs, clash entre Booba et Hanouna ou encore derniers défilés de la fashion week, on ne retrouve plus du tout ce pour quoi à la base on s’était abonné. Communiquer sur des sujets qui n’ont rien à voir avec le sujet spécialisé proposé par le média, je trouve que c’est un manque total de respect pour les followers et les passionnés du mouvement hip-hop… Enfin quoi ? On va pas demander à un média spécialisé dans l’architecture de nous parler des dernières brosses à dent tendances à la mode. Bref, chacun se fera son avis, mais si vous voulez suivre la culture pop et l’actualité de la mode en France, vous avez cas vous abonner à Konbini et on en parle plus. (je me suis mis en mode Rap Contenders là mdr)

Screenshot Raplume - Instagram 

Le problème des chiffres

Enfin, et après, promis je désactive le mode clash, il y a un dernier problème chez les médias actuels de rap. La passion et l’amour du rap ont peu à peu laissé place aux chiffres. (dans tous les sens du terme). “Quelles ventes a fait ce rappeur en première semaine ? Et toi ton rappeur préféré il a fait combien en midweek ? Ah mais moi il a fait 2x plus, ça veut dire qu’il est meilleur !” Oh stop ! A la base le rap, c’est une musique de passionnés. Bien sûr que les supers ventes de rap ça fait plaisir quand on soutient un petit artiste qui est parti de rien. On voit que l’engouement grandit autour de lui et ça fait plaisir (on peut se la péter en disant : “hé moi je l'écoutais quand il avait que 1000 abonnés).

Mais il faut arrêter de tout le temps se référer aux chiffres, surtout pour attester de la qualité d’un projet. UMLA d’Alpha Wann en est le meilleur exemple je pense. En 2018, c’était 6200 ventes en première semaine, rien de quoi faire un scandale mais à l’époque tout le monde criait au flop. Aujourd’hui UMLA est, en plus d’être un giga classique du rap français, certifié disque de platine (100 000 équivalent ventes). Bref parenthèse Alpha Wann fermée, mais je trouve que les médias participent amplement à ce phénomène de “comparaison des statistiques” qui poussent les auditeurs à toujours mesurer la qualité d’un morceau de par le succès commercial d’un projet global. Il faut que cela cesse définitivement. 

“J'pense à mes derniers jours, pas au nombre de ventes de la première semaine.” Alpha Wann, philly flingo 

Et lorsque j’ai dit plus haut, “La passion et l’amour du rap ont peu à peu laissé place aux chiffres (dans tous les sens du terme)”, je voulais aussi parler de cette course incessante aux abonnés & aux likes. Je vais vous faire une petite confidence que je ne devrais normalement pas vous révéler mais il y a quelques semaines, j’étais en pleine préparation du lancement de Rap Chroniks, et je suis entré en contact avec un média de rap (100k followers) dont je tairais le nom. Le fondateur du média commence à me vendre un bail pour racheter d’autres comptes insta qui ont déjà une base d’abonnés. Donc en gros, le mec a voulu me vendre une communauté d’abonnés avec des “faux comptes insta spécialisés sur le rap”. Mais on est où là ? C’est ça le rôle des médias ? Vendre des communautés d’internautes ? Passer son temps à courir derrière les abonnés et en faire un business ? Non, non et non. Ce n’est pas ma vision des choses. J’ai gentiment décliné sa proposition (mdr), et je ne lui en tiens pas rigueur, le mec essaie juste de faire son zeillo’ mais franchement il y a un vrai souci. Je veux juste vous prévenir, et que vous fassiez attention en tant qu’auditeurs et abonnés de média de rap, on se fout (parfois) littéralement de votre gueule… franchement…

“Les médias s’prennent pour des juges et les juges pour des dieux vivants.” PLK, Vital

Et je pense que c’est ça la conclusion de cet article. Voilà pourquoi les médias n’arrivent plus à transmettre la véritable essence du rap. Il n’y a plus d’amour, plus de passion, si ce n’est celle des chiffres, et de la course aux abonnés. Attention tout de même à ne pas faire de généralités ! Heureusement il existe encore en France des médias de rap, comme Punchologue par exemple que je salue, et qui ont gardé cet amour et ce devoir de transmission de la culture rap.

Conclusion 

A travers cet article, nous aimerions donc faire passer un message d’urgence. 
“À tous les fans de rap, 
Le rap, le vrai, celui qui nous fait rire, celui qui nous fait pleurer, celui nous transporte ;

Le rap, le vrai, celui qui permet de combattre les discriminations sociales, de rassembler les communautés, de faire passer des messages de révolte et d’espoir ;

Le rap, le vrai, ce genre musical né il y a plus de 50 ans dans les ghettos du Bronx (NY, USA) ;

Le rap, le vrai, celui qui a traversé les frontières pour arriver jusque dans les banlieues parisiennes au début des années 80 ;

Le rap, le vrai, celui né de la passion et du travail acharné de ces artistes anonymes, bien avant les rêves de célébrité et de richesse ; 

Le rap, le vrai, celui qui s’est transmis à travers les générations, pour devenir aujourd’hui le genre musical N°1 le plus écouté en France ;

À tous les vrais fans de rap, 

Les jeunes, les vieux, les riches, les pauvres, les arabes, les renois, les blancs et tous les amoureux de notre culture Hip-hop ; 

Il est plus que temps de revenir au Cœur du Rap. 

Rap Chronik 💜

Sources  

PureCharts, publié le 13/01/2018, "Les meilleures ventes d'albums en 2017 avec streaming : Ed Sheeran, Niska, Damso..."

https://www.chartsinfrance.net/actualite/news-105913.html

RBS, publié le 02/04/2020, "Le deuxième âge d'or du rap français ?"

https://www.radiorbs.com/le-deuxieme-age-dor-du-rap-francais/

OpenEdition Journals, publié le 17/02/2020, "Mesurer les processus d’(il)légitimation des musiques hip-hop en France"

https://journals.openedition.org/volume/8573

Radio France, Mouv', publié le 02/08/2022, "Alpha Wann et Népal : quand le succès d'estime se transforme en succès commercial"

https://www.radiofrance.fr/mouv/alpha-wann-et-nepal-quand-le-succes-d-estime-se-transforme-en-succes-commercial-4774052

Rap Minerz, publié le 20/08/2023, "L’obsession de la première semaine"

https://www.rapminerz.io/articles/lobsession-de-la-premiere-semaine#:~:text=Enfin%2C%20avant%20de%20crier%20au,r%C3%A9alisait%206200%20ventes%20pour%20UMLA

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