Du Bitume et du Caviar. L’expérience de la rue et du Pur rap, c’est ce que nous ont servi sur un plateau d’argent les deux rappeurs ISHA et Limsa d’Aulnay en décembre dernier. Revenons ensemble sur ce projet commun de 11 titres réalisé par deux passionnés de hip-hop…
“Tu sais qu'on est venus sans plan B, j'suis un magicien d'la langue française”
À 37 ans, ISHA est un vétéran du rap. Le rappeur belge né le 2 juin 1986 à Woluwe-Saint-Lambert (Belgique). Fils d’immigrants congolais, sa vie bascule très jeune à la suite d'un divorce qui ébranle sa famille, puis par la mort de son père en 2005. Ces événements marqueront à jamais le jeune homme, qui, tout au long de sa carrière, essaiera de soigner ses blessures en extériorisant son mal-être à travers sa musique.
ISHA découvre le rap très jeune par l’intermédiaire d’un ami qui écrit des textes dans un cahier. « Ce cahier, qu’il emportait partout avec lui, rendait le rap studieux à mes yeux, rembobine-t-il. Il m’a donné l’impression que le rap pouvait être quelque chose de sérieux. Quelques semaines après cette découverte, je commençais à rapper. » (interview de ISHA, source : La FNAC, Isha : biographie, discographie). Le jeune belge se met d’abord à rapper sous le nom de Psmaker. Nous sommes en 2008. À l'époque, la scène du rap belge n’ose même pas effleurer l’idée d’un potentiel essor du hip-hop. En France, c’est déjà compliqué avec la crise du disque (2007-2015) que traverse l’industrie musicale. Le rap français ne vend plus. Alors en Belgique, on imagine pas… Mais tans pis, le rap c’est la passion. Et ISHA est un passionné. Il persévère et continue à perfectionner son art. La route fût longue. Toute sa carrière est marquée par des défaites, mais aussi des victoires. Des victoires contre la rue, son alcoolisme et les démons qui le hantent depuis qu’il a perdu son pilier, sa figure paternelle, à seulement 18 ans.
Après des années compliquées, le début du succès finit finalement par arriver en 2020 avec son album “La vie augmente Vol.3”. Entouré par des pointures du milieu, ISHA, qui baignait déjà dans l'underground bruxellois depuis plus de 10 ans, plante le décor de son œuvre musicale. Quelque part entre l'ego-trip imprévisible, les mélodies entêtantes et le storytelling, le rappeur belge nous présente dans ce projet sa vision du monde et de la culture rap qui l’anime depuis qu’il a découvert l’écriture.
Si vous souhaitez en savoir plus sur la vie et la carrière de ISHA, je vous conseille l’article de Mouv’, "Isha : bien plus qu’un artiste torturé, un véritable miraculé"
“Frérot, d'où j'viens, les gars, ils aiment pas ouvrir des livres, ils préfèrent ouvrir des chichas et des barber shops”
Limsa d'Aulnay, aussi appelé Limsa, est un rappeur français né le 4 décembre 1986. Véritable enfant d’Aulnay-sous-Bois (93), il fait ses premiers pas dans le rap à 16 ans, se faisant un nom dans son quartier (Cité Emmaus) et dans sa ville natale. En 2010, il rencontre son futur grand ami, Georgio, avec qui il partage la même passion pour le rap. Ce dernier lui présentera la 75e Session, un collectif de passionnés composé de talents comme Népal, Sopico ou encore Jeune Mort. Pendant des années, aidé par le savoir-faire des membres de ce collectif, le rappeur apprend et affine son style.
En 2020, avec le freestyle Grunt #42, Limsa choque le public rap de par sa facilité à débiter et à lâcher des punchlines drôles et pleines de sens. En Février 2022, fort du succès d'estime des deux premiers volets, il sort son album "Logique, Pt. 3", savant mélange de technique, de second degré, et de textes très personnels.
Au même titre qu’ISHA, je vous conseille ce très bon article du média (+33) RAP, "Limsa d'Aulnay : en finir avec le succès d'estime ?", si vous souhaitez en savoir plus sur la carrière du rappeur d’Aulnay-sous-Bois.
C’est Limsa qui entend pour la première fois parler d’ISHA en 2015, par l’intermédiaire d’un de ses amis, artiste lui aussi, dont le blase était Ysha (l'anecdote est marrante ^^). Ce dernier lui fait écouter des rappeurs belges, et parmi eux se trouve ISHA, qui à l’époque se faisait encore appeler sous le nom de Psmaker. Du côté d’ISHA, c’est lors d’un concert commun avec l’artiste Sopico, qu’il rencontre pour la première fois Limsa, dont la personnalité et le charisme l'interpellent directement.
La connexion s'établit directe. En effet, les deux rappeurs, qui sortaient jusque-là des trilogies chacun de leur côté, partagent exactement la même vision du rap. L’écriture, la plume, les belles tournures de phrases, les punchlines pleines de sens et la même envie de provoquer le rire chez leurs auditeurs. Ces derniers se mettent alors à collaborer ensemble et sortent en 2020 leur premier morceau en commun, "Starting Block".
Pour la petite histoire, ISHA avait en fait enregistré tout seul le morceau de son côté avec seulement un couplet et un refrain. N’étant pas très satisfait de son refrain, il décide d’envoyer la maquette du son au rappeur d'Aulnay-sous-Bois. Ce dernier complète le morceau avec un nouveau refrain et un 2e couplet, puis le renvoie à ISHA. C'est la naissance du duo entre les deux rappeurs.
Starting Block
[Couplet 1 : ISHA]
"Expérience et vécu dans mes textes, j'parle de ceci et cela
Non, c'est pas que j'vais faire la vedette, j'suis timide, moi j'évite les regards
J'kiffe ce maudit piano, j'aime entendre vibrer les basses
J'sais qu'j'vais rien faire avec ce ceau-mor, ça va pas streamer des masses"
Le rappeur belge, marqué par l’histoire des duos dans la musique, comprend alors qu’il vient enfin de rencontrer l’artiste qui formera avec lui le tandem dont il a toujours rêvé. Boosté par un clip sorti en 2021, ce premier morceau à deux marche bien et commence à faire parler d'eux. La collaboration devient alors de plus en plus évidente et les deux artistes commencent l’élaboration d’un album en commun.
En septembre 2023, les deux rappeurs annoncent la sortie de "Bitume Caviar (Vol.1)", prévue pour le 1er décembre de cette même année.
Je vais donc analyser les différents morceaux de ce premier opus, et vous donner mon avis pour chacun des titres.
[DISCLAIMER] : Cet avis est strictement personnel et n’importe que moi. Vous êtes libres de vous faire votre propre interprétation du projet.
Pour rigoler un peu je vais également vous donner, sur chaque morceau, la phase qui m’a le plus marqué. À la fin, on fera un petit comptage des points pour voir lequel des deux artistes a remporté la bataille de ce premier volume ^^ (en mode France-Belgique, t'as capté). Et pas d’égalité possible puisque le projet est composé de 11 titres !
Vous êtes prêts ? C’est parti !
(🎧) Pour une meilleure expérience sonore, veuillez ouvrir le projet Bitume Caviar (Vol.1) sur l'application de streaming que vous utilisez, et lancer les morceaux uns par uns à chaque début d'analyse...
Tous les auditeurs de rap connaissent l’importance du premier morceau qui introduit l'album. Un peu comme la première brique posée lors de la construction d’une bâtisse, l’intro représente, de façon symbolique, tout ce que l’on va pouvoir retrouver sur le reste d’un projet. Et on peut dire qu’avec le son "Clio 4", les fondations de Bitume Caviar ne risquent pas de s’écrouler. Le morceau débute avec une mélo planante et un air de *Attention, il va se passer quelque chose là*. À 00:14, la voix suave d’ISHA fait son entrée. Le rappeur belge pose calmement les premières phases du projet. À 0:55, Limsa commence à rapper, avec un flow et une voix qui s’accorde totalement à celle de son compère. C’est clair, limpide, et on comprend pourquoi le duo fonctionne si bien. Au niveau des thèmes abordés, on retrouve ce qui a accompagné les deux rappeurs tout au long de leur carrière respective. La rue, leur enfance difficile, les personnes qui ne croyaient pas en eux… etc. À 1 min 30, le duo décide de nous mettre une énorme feinte. La voix de Limsa ralentit et on s’attend donc à la fin du morceau. Mais les deux artistes ont plus d’un tour dans leur sac. 1 min 27, BAM, changement de prod, on l’avait pas vu venir celle-là ! L’auditeur est pris de court. Les deux rappeurs partent alors pour 1 minute de gros kickage. À noter l’influence de Damso dans la structure du morceau (notamment avec le changement de prod), mais également dans le flow employé par ISHA dans la 2e partie. Ces deux derniers étant belges, rien d’étonnant qu'ISHA ait été inspiré par l'œuvre légendaire de l’auteur de QALF.
La phase de Clio 4 : “Ça fait mal les bails de do, ré, mi, fa, sol” (time code : 2 min 16)
1 point pour Limsa. Il y a d’autres très belles phases sur le morceau, mais je crois que c’est celle-là qui m’a le plus marqué. Et pourtant, sa construction est très simple. Dans beaucoup de morceaux de rap ego-trip aujourd’hui, on retrouve ce jugement de valeur sur les autres rappeurs, la concu comme on dit. Et cela est souvent dit de manière assez simple à base de “j’suis meilleur qu’eux”, “ils savent pas rapper”, “j’m’appelle Alpha, j’ai un prénom d’star, des rappeurs m’envoient leur CV pour que j’les prennent en stage” (non j’rigole ça c’est un giga classique de phily flingo). Bref, ici j’ai trouvé l’allusion à la mauvaise pratique des “bails de do ré mi fa sol” (en référence au fait de mal pratiquer le rap), hyper originale et très drôle. Au passage, big up aux personnes qui apprennent la théorie musicale, ça me fout des migraines perso. Allez, j’arrête de dire n’importe quoi et on passe au prochain morceau...
Vient ensuite “Le chant des cigales”. “Si ton pote t’as dis qu’c’est pas du rap, c’est qu’c’est un mytho.” Ça y est, on y est ! L'intro n’était qu’un simple amuse-bouche ! Bienvenue dans le projet Bitume Caviar. Que le spectacle commence ! Comme le dit ISHA, “okay c'est bon, vous pouvez allumer la lumière, vous pouvez lever les rideaux”. Une mélo planante, un savant mélange de FX digitaux et acoustiques, des drums cette fois-ci beaucoup plus organiques, l’ambiance sonore du projet est posée. On retrouve également un refrain hyper efficace de ISHA et un couplet M-O-N-S-T-R-U-E-U-X de Limsa. Le cadre est posé. Deux gars qui kiffent le rap, et qui nous proposent une expérience à travers un “cro-mi” pour nous faire “voyager”. J’ai beaucoup aimé la phase de Limsa : “J'ai grandi avec des dé-clans, des tsiganes qui sont partis des cours comme Deschamps et Zidane et qui s'en tartinent les couilles du chant des cigales” mais ce n’est pas celle que j’ai retenu sur ce titre !
La phase du Chant des cigales : “Le rap c’est plus comme y’a des 10 ans, tu peux faire des sous rapidement, avec logiciel craqué, et un peu d’débrouillardise. La rue c’est plus comme y’a 10 ans, tout le monde porte des marques de luxe, personne va t’faire de guet-apens, finit la dépouille à 10.” (time code : 0 min 28)
1-1 partout ! Le rappeur belge marque un point avec cette phase somptueuse qui présente clairement la vision qu’il a du rap d'aujourd'hui ! On passe au prochain morceau…
Pour tout projet réussi, il faut un single. Et parmi les 11 titres qui composent Bitume Caviar, ISHA et Limsa ont choisi Inna di Club. Ce mouv' de mettre en avant ce morceau passe-passe, sans refrains, avec 4 couplets, en dit beaucoup sur la vision globale qu'ont eu les deux rappeurs lors de l'élaboration de ce projet commun. En fait, ces derniers souhaitent envoyer un message fort dès le début de l'album. Il n’y aura aucune concessions. Comme le dit Limsa, "J'fais pas d'son qui t'donne envie d'serrer ta sine-cou ou d'faire la fête au village". Tel un Alpha Wann, les deux compères ne font pas “du rap qui se chante sous la douche” et ISHA exprime très bien la difficulté et les conséquences que représente ce choix dans la phase que j’ai choisi de retenir pour ce morceau.
La phase d’Inna di Club : J’rêvais d’un peu plus de thunes mais j’sais qu’j’irais pas loin avec ma putain d’littérature de rue (ISHA) (time code : 1 min 55)
2-1 pour la Belgique (pour une fois qu’ils ont pas le seum mdr, je vous taquine hein, on vous aime les belges ❤️)
On reprend les mêmes ingrédients et on recommence. Produit par Dee Eye, "Lotissement" est à l’image des précédents titres. Simple & Efficace. Dans ce son, qui a pour thèmes “la rue” et “l’honnêteté”, on retrouve toute la force de ce duo, cette sorte de symbiose parfaite entre les deux artistes qui leurs permettent de coupler leur voix dans un refrain super mélodieux. Ces derniers se permettent même de partager leurs couplets respectifs en deux. Ça s'appelle le partage, (c’est beau ptn). Des morceaux qui sont fait ensemble en studio ça se sent, et "Lotissement" en fait partie. En termes de rap, rien à dire, les deux couplets sont hyper propres, et Limsa commence même à nous dévoiler une de ses faces cachée, sa vocation d'humoriste qui aurait pu l’amener très loin dans le game de la Comédie. À quand un rôle dans le prochain Asterix & Obélix ?
La phase de Lotissement : "J'vais pas t'mentir, j'ai déjà fait l'charlatan, j'ai d'jà dis "je t'aime' pour baiser, j'ai d'jà mangé pendant l'Ramadan… Et j'en suis pas fier. J'ai d'jà vu des mecs mettre du crack dans une assiette, j'ai djà pris la veste d'un mec pour l'essayer avant d'lui dire qu'c'était plus la sienne" (time code : 0 min 34)
2-2 ! Et 1 point supplémentaire pour Limsa grâce à cette punchline super drôle. 0n avait pas vu un France-Belgique aussi serré depuis 2018…
“J’essaie d’changer. Vivre de ma passion, j’ai cette chance.” Le plan A c’est une petite pépite avec une prod au piano toute mignonne, et deux hommes marqués par la vie qui expriment la souffrance et les épreuves qu’ils ont traversé. “Il faut comprendre les larmes, les cris juste avant les saignements”. Attention, rien de pessimiste dans ce morceau, les rappeurs souhaitent avant tout partager leur passé difficile, mais également témoigner la chance qu’ils ont aujourd’hui de vivre de leur musique. “Aujourd’hui, j’prend 1500 balles juste pour chanter 40 minutes” Limsa. On retrouve également la thématique de la détermination, très présente dans le rap depuis son arrivée en France dans les années 80. “Faut qu'j'le fasse, qu'il vente ou qu'il pleuve, j'connais le plan, la fin du film.” Limsa.
Enfin, je tenais à mettre en avant cette phase magnifique de Limsa qui aborde la philosophie stoïcienne, philosophie que l’on peut également retrouver dans d'autres œuvres comme la théorie de l'absurde de Camus, ou encore le film Fight Club (gros classique, si vous l’avez pas vu je vous juge là). Qu'est-ce que Limsa essaie de nous dire ici ? Rien de ce qui vous arrive dans la vie n’a d'explications, il n’y a pas pas destinée toute tracée et pleine de sens. Les événements de votre vie sont tout simplement indépendants de votre volonté, qu’ils soient positifs ou non, et ces derniers surviennent la plupart du temps de façon totalement aléatoire. Une fois qu'on a compris cela, on peut essayer d'aborder la vie plus sereinement sans passer son temps à culpabiliser et à se remettre en question à chaque événement de notre vie.
"Le plan A", c’est donc un titre magnifique et rempli de messages profonds, à l’image des deux rappeurs, deux hommes blessés qui ont réussi à tirer des enseignements de leur passé tumultueux et à devenir des sources de bienveillance et de sagesse ! On passe à la phase du morceau...
La phase de “Le plan A” : “J'ai vu des cafards courir et des blattes errer, c'est horrible. Gros, comprends que j'suis pas là pour déblatérer des conneries” (time code : 0 min 51)
Quelle structure de phrase magnifique du rappeur belge ! On comprend pourquoi ISHA s'autoproclame (en tout légitimité) comme "un magicien de la langue française". 3-2, Avantage Belgique ! Allez, on passe au plan B…
Bon là on rigole plus l'équipe, on passe au chef-d'œuvre. Quelques jours après la sortie de Bitume Caviar sort “Le plan B” sur Youtube. Ce clip magnifique (gros big up à Leam Inard pour la real'), permettra d’ajouter des éléments visuels et de consolider une bonne fois pour toutes les fondations de ce projet. "Le plan B", c’est un texte magnifique de 2 minutes et 41 secondes, sans refrain, tout pour le rap, comme d’habitude. En termes d’écriture, c’est une mine d’or.
Il y a tellement de thèmes et de sujets évoqués dans ce texte de rap légendaire que j’ai décidé de vous les présenter au sein d’une petite liste. Et c’est directement 1 point marqué par les deux rappeurs qui nous ont livrés une véritable masterclass sur ce morceau !
La souffrance mentale
“Après, ça ramène des cris, des pleurs, mais bon, les cris les pleurs, tout ça fait vendre des disques.” ISHA
“Des fois, j'ai l'air sympathique, des fois, j'ai l'air lymphatique.Ne m'en voulez pas, c'est les pressions, le bédo et la fatigue.” Limsa
La rancune et le rejet
“Leurs visages se creusent, les semelles s'usent, on n'a pas r'çu une seule excuse. Pour avoir grandi là où le sang et les larmes ne font que couler. Là où les rebeus, les renois et les sentiments se font refouler” Limsa
Les difficultés à sortir de la rue
“T'es pas champion si t'as pas d'titres, ça d'mande du temps et d'la pratique” ISHA
“La rue on a grandi trop près d'elle, faut s'les faire” ISHA
L’union et le respect
“J'suis avec les reclus d'la société, tous ceux qu'on veut pas. Les rej'tés du système, les docteurs ont peur vu le nombre de cas” ISHA
“Nous, on respecte tout l'monde, les directeurs des banques, les vigiles.” ISHA
L’humour
“Si t’as grandi ici sans ber-tom, tu peux dire qu’t’as remporter Koh-Lantess” Limsa
“J’suis prêt pour la troisième guerre, j’suis prêt pour le dernier jour du disco.” Limsa
Les vices (alcoolisme et fumette)
“L'âme d'un guerrier mais j'cogite comme un hippie, j'ai des tâches sur les lèvres à cause des matitis” ISHA
“T'es à l'ouverture, à la fermeture du bistro, ta pauvre nana, elle dit qu'tu tises trop” Limsa
“Y a d'la Cali, y a d'la hollandaise, les p'tits, ils ont même plus l'école en tête” Limsa
La douleur physique
“J'ai déjà eu peur pour ma vie, tu sais, plus d'une fois, j'ai saigné et titubé” ISHA
“J'me tâte, des fois, ça m'gratte, la douleur et les démangeaisons” ISHA
“J'ai fait l'usine, j'ai fait les boulots précaires, quand c'putain d'mal au dos t'réveille.” ISHA
Les relations humaines
“Pas d'ma faute, ça dépend des autres, quand j'm'endors avec des pensées sombres” ISHA
Le mal du pays
“Nos parents ont quitté l'Afrique pour l'Europe et son hiver éternel” Limsa
La quête de l’argent
“Tout ça pour me milli', tout ça pour la moula, tout ça pour la gloire, mais jamais on n'l'avouera” ISHA
“Mais là, il est l'heure de penser six chiffres, le désespoir fait prendre des risques” ISHA
L’amour du rap pur
“Moi, tu m'verras jamais faire du rap à la con ou bien m'dandiner avec des mouvements atroces” ISHA
Retrouvez les explications de chacune de ces phases sur la page de Genius !
On arrive déjà à la dernière partie du projet. Les deux rappeurs nous proposent avec ce titre une sorte d’interlude introspective. Une petite mélo océanique, et aucun drums si ce n’est quelques roulements à droite à gauche pour faire les transitions entre les couplets. Dans ce morceau de 2 min 07, ISHA et Limsa reviennent plus en détail sur leur vécu dans la rue et leur relation avec la gente féminine.
La phase de Tard le soir : “J'ai jamais rêvé d'être président, tard le soir j'écoute "Dead Presidents”. Ils règleront jamais l'problème des migrants, le paradis est mort, l'enfer est vivant.” ISHA (time code : 1 min 18)
5-3, le rappeur belge prend le large ! On passe au prochain son…
BAAM, ça commence direct ! Une grosse mélo efficace au piano et des drums linéaires. Les deux rappeurs n’ont plus de temps à perdre. Ils leur restent 4 morceaux pour prouver aux auditeurs que leur projet est le Meilleur Album Rap de 2023.
Jimmy Fallon est un célèbre animateur de télévision américain, notamment connu pour présenter l'émission “The Tonight Show Starring Jimmy Fallon” sur NBC. Avec cette phrase, ISHA nous explique que ses proches ont d'autres préoccupations que de passer du temps devant la télé, à regarder des show humoristiques. Limsa reprend également cette idée d'entrée avec une référence à l’animateur français Thierry Ardisson. “Les p'tits bibi devant l'Hard Discount, ils s'en battent les lles-cou' d'Ardisson”.
Ce que les deux rappeurs essaient de nous exprimer, c’est ce ras-le-bol général de toute une génération vis-à-vis du show business de la télévision qui nous poussent depuis des décennies à consommer du contenu complètement débilisant, traitant de thématiques, soit pas intéressantes, soit complètement stéréotypées (sur le rap par exemple). Je pense ici à l’interview de Nekfeu sur “On N’est Pas Couché” ou encore à ce moment très gênant qu’a dû subir le rappeur VALD sur le plateau de “Salut Les Terriens.”
Pour comprendre ce sujet d'opposition entre le rap et la télévision française, je vous conseille la très bonne vidéo animé par Thomas Guisgand, RAP VS LA TV : les moments les plus gênants (Vald, Nekfeu, Damso, Rohff...)
La phase de Jimmy Fallon : “Garde tes slogans à la con du type : "Ensemble agissons". Si tu veux changer le monde, va faire de l'humanitaire. Ça sert à quoi d'te laisser pousser les poils, prendre des taz à la Fête d'l'Humanité” Limsa (time code : 0 min 11)
5-4, pour la Belgique. Très bonne phase drôle de Limsa qui lui permet de marquer un point et d'envoyer un petit message second degré aux "écolos extrémistes" de notre génération. L'’écart se réduit. On approche de la fin du projet, quel suspens !
La plume, l’amour de l'écriture et des schémas de rimes bien travaillés. Ce son est, à mes yeux (aha t'as capté c'est le nom du morceau enfaite), l’autre chef-d'œuvre de Bitume Caviar. Avec ce morceau, les deux artistes nous offrent une ballade calme et reposante de 2 minutes 32, et par les temps qui courent, un peu de douceur ça fait du bien.
À mes yeux c’est aussi un message très personnel de Limsa à sa grand-mère qui s’est occupée de lui pendant toute son enfance comme de son propre fils. “J'me plains pas, ma grand-mère vaut dix daronnes. Elle m'a dit : "Faut souffrir pour une raison". À mes yeux, son sourire vaut une maison”.
ISHA pour sa part, nous livre un message nostalgique sur l’enfance, cette période si particulière où notre vie nous semble simple, légère, sans tracas et pleine d’aventures. “Et j'me dis qu'avant, c'était mieux, quand on arrivait à sourire, qu'on n'avait pas encore l'démon, avant que tes yeux soient humides”.
Enfin, il faut noter ce refrain magnifique de Limsa dans lequel ce dernier aborde la vision du Paradoxe de la vie, cette espèce d’ambivalence de l’être humain qui a très souvent tendance à rechercher aussi bien le plaisir que la douleur, envers soi-même et envers les autres. “À mes yeux, gros, dans la rue, c'est ténébreux. Du bien du mal, on s'fait les deux. On s'est fait jouir, on s'fait rer-pleu”. On retrouvait également ce paradoxe dans le morceau "J’essaye, j’essaye" d'Orelsan, en featuring avec sa grand-mère, MC Janine. "Et on s'détruit la santé pour se sentir en vie."
La phase de À mes yeux : “On a menti en jurant sur nos mères. Quand elles partiront, est-ce qu'on mentira sur leurs tombes ?” (time code : 0 min 20)
5-5, égalité parfaite ! Je n’ai pas grand chose à dire sur cette phase de Limsa si ce n’est qu’elle est pleine de sens et qu’elle peut nous faire réfléchir quant à notre sur-utilisation de l’expression, “la vie d’ma mère”. Pour ceux qui se sentent concernés, je vous laisse méditer sur les sages enseignements du rappeur d'Aulnay-sous-Bois et en attendant nous, on passe au prochain morceau...
Plus que 2 morceaux ! On approche de la conclusion de ce premier volume. Bon là, pour moi, c’est la petite erreur de l'album. En featuring avec Caballero et JeanJass, j'ai trouvé que la connexion ne marchait pas super bien avec les deux rappeurs belges qu’ISHA a sûrement voulu retrouver dans ce projet.
En soit, le morceau n'est pas mauvais. Riche en rimes, je le trouve cependant sans grande profondeur. Bref, on va pas en parler 3 heures et on va donner un point à notre bon vieux Caba pour cette très belle phase sur la réussite commerciale dans la musique.
La phase de Flûtes recyclables : “J'mе rappelle, on n'avait pas vos réseaux. On f'sait du rap comme Despo, ça passait des AirMax au presto. Aujourd'hui, p'tite sortie en bateau, lessgo. Fini les pâtes au pesto, j'allume mon bat' au resto” (time code : 0 min 28)
Toujours 5-5, on reste sur une égalité entre les deux rappeurs qui n'arrivent décidemment pas à se départager. Allez, on passe au dernier morceau qui va trancher et désigner une fois pour toute le grand vainqueur de ce match super serré entre les deux artistes !
Alors ? Qui va gagner ? ISHA, ou Limsa pour remporter ce combat épique ?
L’outro est, au même titre que l’intro, un élément central d’un projet puisqu’il va définir les dernières notes d’un album et donc les dernières impressions que l’on aura sur l’ensemble d’un projet. 2 petits couplets de Limsa, 1 long couplet d’ISHA et une simple outro, les deux artistes auront vraiment réussi jusqu’au bout à rester fidèle à leur ligne directrice.
"SRSD" fait référence aux dernières paroles de Limsa qui viennent conclure définitivement le projet à la fin du morceau. “Où la seule devise, c'est : "Sois Riche ou Sois Digne” (encore une fois merci Genius, j’avais pas capté mdr). Dans ce dernier morceau, on a tout. On retrouve les punchlines drôles et cinglantes de Limsa qui nous ont accompagnées quasiment dans tous le long du projet. “Être dans ma peau, c'est terrible, à chaque fois que j'subis des drames, premier truc qu'ça m'inspire, c'est des rimes, le deuxième truc qu'ça m'inspire, c'est des blagues”.
ISHA, lui, nous propose, comme d’habitude, ce qu’il se fait de mieux dans le rap actuel, le hip-hop technique et sombre. Il nous rappelle cependant que cette aisance est le fruit de nombreuses années de travail. “Toute ma vie, j'écoute des packs de prods. La nuit, j'écris des vieilles berceuses, c'est bien quand c'est bres-som, quand c'est ténébreux”.
Bon, je vais pas vous mentir, ça a été super difficile de départager les deux rappeurs sur ce texte tellement leurs niveaux respectifs sont monstrueux ! Mais bon, je vous l’avais promis, alors on passe à la dernière phase de SRSD qui va hisser l’un des deux artistes au rang de grand vainqueur de ce Volume 1 de Bitume Caviar….
La phase de SRSD : “J'suis mon seul ennemi, mon seul copain, mon seul chercheur et mon seul cobaye. J'suis mon propre auteur et éditeur, à la recherche de l'amour d'son géniteur. Dans mon cœur, y a un génie qui meurt, dans ma tête, y a un bébé qui pleure. Un enfant qui hurle, un génie triste à la recherche de l'amour d'sa génitrice” Limsa (time code : 0 min 17)
6-5 pour Limsa ! Ici c’est Paris !! Je connaissais les talents du rappeur d'Aulnay-sous-Bois depuis des années mais là.. pfff, c’est technique hein, franchement.. On attend une analyse de ce schéma de rime exceptionnel par @lakapel sur Instagram. Bref, je vous mets un petit récap' du tableau des scores ainsi que mon top 3 du projet, et on passe directement à la conclusion de cet article !
1/ À mes yeux
2/ Le plan B
3/ Le chant des cigales
Bon je pense que vous l’aurez compris (mdr), pour moi, ce projet est une véritable M-A-S-T-E-R-C-L-A-S-S, et ce pour 3 raisons...
Après cette analyse, il n’y a absolument plus aucun débat à avoir. Limsa et ISHA étaient fait pour se rencontrer et travailler ensemble, formant ainsi ce duo ultra efficace, partageant la même vision du rap et la même ligne directrice.
Mais cette alchimie n’est pas que le fruit du hasard... C’est aussi le résultat de dizaines d’années de travail entre les deux hommes qui ont appris à se connaître par cœur et à anticiper les mouv’ de chacun, permettant ainsi d’être complètement serein avant même l’entame de la création du projet. Le résultat de ce travail c'est Bitume Caviar (Vol.1). Des morceaux décomplexés, spontanés, hyper techniques et sans aucune limites artistiques.
Pourquoi l’alchimie fonctionne si bien ? Limsa et ISHA, c’est le Feu et la Glace, la légèreté et la rigueur, le freestyleur et l’artiste signé en maison de disque. Bref, deux énergies complémentaires qui s'accordent parfaitement.
À l’image de projets comme "Adios Bahamas", "Trinity" ou encore "QALF", on ressent sur Bitume Caviar (Vol.1) une réelle volonté de la part des 2 rappeurs de nous proposer une œuvre cohérente dans son ensemble, avec des transitions fluides entre les différents morceaux, des thématiques récurrentes sans jamais être redondantes, et une identité visuelle & sonore bien choisie et assumée.
Tout comme une pièce d’art ancienne, Bitume Caviar a pour ambition de nous emmener au cœur de l’univers respectif des deux rappeurs, et de ne pas seulement nous vendre un album fourre-tout avec des morceaux sans âmes, enregistrés à distance, et sans aucune ligne directrice. Cette volonté peut sembler totalement normale lorsque deux artistes travaillent en collaboration, mais cela n’est pas toujours le cas, notamment dans le rap français. Livrer un bon projet de rap prend du temps. C’est le fruit d’une étroite collaboration entre deux passionnés de musique, et pas d’un séminaire de rap plié en 2 semaines (hum hum on citera personne).
Cette réalisation d'une œuvre cohérente dans son ensemble passe notamment par tout le travail de production. À l’image d’Eazy Dew & Josman, de Seezy & VALD ou encore de Therapy & Kaaris, ISHA et Limsa ont réussi à trouver la personne qui allait donner la couleur musicale souhaitée au projet, et ce dernier n'est autre que le producteur Dee Eye. Sur Bitume Caviar, on compte seulement 4 beatmakers. Dee Eye, Herman Shank, Jean Jass, et Anybxdy. À titre de comparaison, sur le dernier projet de Koba et Zola (oups j’ai dis les termes), on retrouve plus de 9 beatmakers. Il n’y a en soit aucun problème à collaborer avec plusieurs producteurs, et bon nombre de projets exceptionnels (oui je pense aux projets de Damso) ont été produits par des dizaines voir des centaines de musiciens, mais il faut admettre que réduire le nombre de producteurs sur un projet permet également de réduire grandement les risques de potentiels "incohérence" sur le son et la couleur d’un album.
Bref, j’espère que vous avez kiffé cette analyse de Bitume Caviar ! Pour ma part, je me suis régalé à re-découvrir les morceaux du projet que j'avais saigné en décembre et à analyser cet album qui selon moi, est plus qu’un bon projet de rap. À travers ce projet ISHA et Limsa, souhaite nous transmettre un message, ou plutôt une incitation. Une incitation à choisir entre deux camps. "Les reclus de la société" comme dit ISHA, passionnés de rap avec de vrais messages à faire passer, ou le rap show-business. (non, je ne re-citerais pas de noms j’ai assez d’ennuis comme ça mdr)
Ce que je veux vous dire ici c’est qu’il y a pour moi un choix à faire. Un choix entre deux visions du rap. Deux clans. Les amoureux du rap et les amoureux du succès et de l’argent. Personnellement, j'ai choisi mon camp. Le rap, le rap, et encore le rap. À dimanche prochain pour un nouvel article la team 💜
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