Cet article est également disponible su youtube en format vidéo : LE RAP VS LE SYSTEME (VIDEO)
Le rap et la politique n’ont jamais fait bon ménage. Depuis sa création dans les années 70 aux États-Unis, le mouvement hip-hop s’est battu pour dénoncer les injustices instaurées par un système inégalitaire qui pénalise les classes les plus démunies.
Au fil des années, un véritable rapport de force s’est ainsi peu à peu installé entre, d’un côté, les banlieues (aux États-Unis on parle plus communément des ghettos), et de l’autre, la société ou ce que beaucoup appellent le système*.
*Le système fait référence à tout type d’autorité mis en place par une société, que ce soit un gouvernement, les entreprises, les lois, les instances politiques, les médias, la justice, ou encore la police…
Revenons ensemble sur ces cinquante années de conflits qui ont marqué, à tout jamais, une division entre deux mondes, deux idéologies, deux strates de notre société…
Avertissement : Cet article n’a en aucun cas pour objectif de renforcer la haine et les violences entre les jeunes de banlieues et la police. Nous souhaitons simplement dresser un constat de faits objectifs survenus au cours des dernières décennies dans notre société. Le but sera d’essayer de comprendre les raisons qui ont mené à cette situation de conflit, en France et aux États-Unis, entre deux classes de la société. Ce travail de recherche sera bien entendu étudié sous le prisme des textes de rap qui sont une mine d’or d’informations pour comprendre les tenants et aboutissants de ce conflit. Bonne lecture à tous !
À l’origine de cette opposition entre le rap et le système, tout part d’un mouvement, le hip-hop. Le hip-hop né dans les années 70 à New York à une époque où les inégalités entre Afro-Américains et blancs atteignent leur paroxysme. On comprend donc que le mouvement hip-hop n’est pas qu’un simple courant qui viendrait s’ajouter à une longue liste exhaustive d’autres genres musicaux. C’est en fait un véritable dogme philosophique, une manière libre de pensée, qui découle de siècles de combats contre le racisme et l’oppression des noirs à travers le Monde entier. Une oppression qui a duré trop longtemps et qui, un jour, a poussé les minorités à se révolter à travers une musique, le rap.
On considère souvent Joseph Saddler comme le pionnier du mouvement hip-hop, et cela n'est pas sans raison. Il est en effet connu comme étant l'un des premiers artistes à avoir produit un morceau de rap à la fois engagé et diffusé à la radio.
Avec “The Message”, celui que l'on surnommait Grandmaster Flash dénonce les conditions déplorables dans lesquelles se trouvent confrontés les habitants des ghettos New-Yorkais dans les années 80.
Au-delà de l’aspect révolutionnaire du morceau, c’est surtout une grande nouveauté aux États-Unis puisque c’est la première fois que les Américains entendent du rap. En fait, quand le morceau sort, c’est un choc ! Personne n’a jamais écouté ce genre de musique et cette façon de “parler sur une musique”. Et pourtant ça marche ! L’Amérique toute entière se mange le son et fredonne les passages rappés du morceau entre deux stations de métro.
C’est la naissance de la gentrification du rap aux États-Unis. Les classes aisées (majoritairement blanches) se mettent alors à écouter du rap. Les frontières commencent à se réduire… Le mouvement hip-hop porte peu à peu ses fruits…
Si le mouvement hip-hop s’agrandit, ce n’est pas pour autant que les discriminations et les inégalités ne cessent. Nous arrivons en 1990 et les bavures policières font rage à New York et dans les différents ghettos des États-Unis où les Afro-Américains sont retranchés et exclus de la société. De nombreuses grandes têtes d’affiche font alors leur apparition sur la scène rap et dénoncent les inégalités dans leur pays. Ces nouveaux rappeurs sont entre autres les Tupac, Biggie, Nas, Snoop Dogg, Dr. Dre, ou encore Jay-Z… On assiste alors à la naissance du "Gangsta Rap", un style de rap où les artistes proclament clairement leur affiliation au milieu du crime et aux cartels de drogue, tout en condamnant pleinement les violences policières commises sur les populations noires.
En 1992, les violences s’aggravent et la situation dégénère. Des émeutes éclatent alors dans l'État de Californie et donnent lieu au légendaire titre de Dr. Dre : "The Day The Niggaz Took Over", qu’on peut traduire en français par “le jour où les noirs se sont soulevés”.
À cette période, le rap, qui dispose d’une tribune d’auditeurs de plus en plus large, va donc contribuer à dénoncer ces crimes commis par les "représentants de la justice", tout en poussant les jeunes issus des ghettos à se rebeller contre le système et à proclamer leur indépendance. La haute classe de la société américaine voit alors le rap comme une sous-culture très dangereuse, risquant de pervertir la jeunesse en les poussant aux pires tentations possibles tels que la haine, la violence, le sexe, la drogue, etc...
C’est dans ce contexte qu’apparaissent les premiers objets de censure contre le rap, notamment avec ce fameux logo que vous connaissez tous, et qui est aujourd’hui considéré comme un symbole de la culture hip-hop.
Pendant plusieurs années, de nombreux groupes de hip-hop seront également interdits de scènes. Malgré toutes ces censures, cela n’empêchera pas à des albums légendaire de faire leur apparition. Parmi eux, “Illmatic” de Nas, “All Eyez on me” de Tupac ou encore “Ready to die” de The Notorious B.I.G, trois classiques qui permettront également, quelques années plus tard, d'ouvrir la porte à d'autres rappeurs talentueux comme Jay-Z ou encore Dr. Dre.
Malgré ce nouveau succès, le rap reste toujours très mal vu aux États-Unis. De plus, il y a un problème. Le rap est une musique pratiquée exclusivement par des Afro-Américains, et laisse donc la libre-expression à des personnes à la peau noire, ce qui ne plaît pas du tout à la haute société américaine.
Nous sommes donc à la fin des années 90 dans une Amérique toujours aussi marquée par le racisme, et qui voit d’un très mauvais œil l’émancipation des Afro-Américains à travers ce nouveau genre musical. Le gouvernement américain continue alors de restreindre le rap avec des censures régulières, forçant ainsi le hip-hop à se positionner comme une sous-culture prônant la haine et la violence.
Et c’est alors qu’un jeune homme blanc aux cheveux blonds et aux yeux bleus va venir à la rescousse du hip-hop pour lui donner la place qu'il mérite, celle de la première musique écouté à travers toute l'Amérique.
Soutenu par son producteur, Dr. Dre, Eminem devient ainsi l'un des premiers rappeurs blancs reconnus à la fois par le grand public, et par ses pairs, les rappeurs (encore majoritairement Afros-Américains). La destruction de cette barrière raciale va donc permettre au hip-hop de propulser le rap au sommet de son art et de le rendre accessible à toute personne, peu importe son origine ou sa couleur de peau. Le rap devient ainsi, au début des années 2000, la musique la plus écoutée aux États-Unis et un symbole de rassemblement et d'union des différentes couches et cultures de la société américaine. Tout le monde écoute du rap. C’est ce qu’on a appelé plus tard, la fièvre du hip-hop.
Le hip-hop, malgré les censures, malgré son rejet, malgré sa différence, a gagné et n’a plus qu’un seul objectif : combattre le système qui oppresse les minorités et ne laisse aucune chance aux classes les plus pauvres de la société !
Pendant ce temps-là en France, le même combat fait rage. Nous sommes au début des années 80. De nombreux immigrés africains sont entassés aux alentours de Paris, dans ce qu’on appelle les "banlieues" ou les "cités" parisiennes. Dans la rue, c’est vente de drogue, règlements de comptes et trafic en tout genre. Les banlieues, tout comme les ghettos aux États-Unis, sont elles aussi soumises à de violentes répressions par la police et mises à l’écart de la société.
C’est alors que le mouvement hip-hop décide de faire son entrée en France. On assiste ainsi à l'émergence d'un premier vent de révolte dans les quartiers populaires. En 1988, c’est la première fois qu’un groupe de rap apparaît à la télévision française.
Le groupe “Assassin” sera l’un des précurseurs du mouvement hip-hop en France. Il est formé en 1985 par Rockin' Squat et Solo, rapidement rejoint par DJ Clyde puis Doctor L.
Je ne vais pas vous retracer toute l'histoire du rap français puisque ce n’est pas le but de cet article et que le youtubeur Raska le fait déjà très bien dans une de ces vidéos ! Je vous laisse aller la checker si ça vous intéresse !
Revenons donc à notre sujet : Le rap VS Le système.
Vous le savez sûrement mais dans les années 80, les grandes stars de la chanson proviennent du rock (musique sur laquelle dansait nos parents). Les Rolling Stones, Les Beatles, Queen, Les Stooges, Indochine, Les Pixies, Police, ou encore Nirvana, voici quelques-uns des groupes qui ont dominé la scène musicale mondiale des années 1960 à 1990. D’ailleurs, beaucoup de ces artistes contribuaient déjà, avant même l’apparition du rap, à dénoncer les inégalités et à “combattre le système” autoritaire et impérialiste mis en place par nos sociétés modernes. La ressemblance entre le rock et le rap, de par ses codes et ses aspirations, est donc frappante.
Tout comme ces différents groupes, le rap arrive dans les années 90 avec un message d’indépendance, de liberté, et surtout, de revendications. À cette époque, beaucoup de Français considèrent cependant le rap comme une sous-culture, un genre sans réelle identité qui n’apporte rien musicalement parlant (au départ, le rap se basait principalement sur des samples de musique classique préexistants, d’où cette critique). D’autant plus que le rap français utilise la langue de Molière, tout en la remettant à la sauce des banlieues pour ainsi en faire ressortir de nouvelles expressions et un nouveau langage propres aux jeunes de cité. Bref, que des éléments qui viennent alimenter le rejet et les critiques à l'encontre du rap.
Pendant des années, et comme cela avait été le cas aux États-Unis quelques temps auparavant, le rap sera continuellement rabaissé, censuré et mis à l’écart par la haute société française, les intellectuels ainsi que les différentes classes politiques du pays.
Finalement, on en revient toujours aux mêmes causes. Le rap est pratiqué majoritairement par des Noirs ou des Arabes, et cela ne plaît pas du tout à la France raciste qui s’indigne de cette nouvelle pratique musicale depuis les années 90. Le rap porte également un message révolutionnaire voire parfois anarchiste, ce qui, vous vous en doutez, ne plaît pas du tout au gouvernement et à son système bien organisé dont le but est de contrôler et de maintenir la population en place.
Dès les premiers morceaux de rap français, on peut donc déjà retrouver cette méfiance vis-à-vis du système et de ses institutions qui prônent la stabilité et les non-dits. C’est aussi avec ces morceaux qu’on retrouve les premiers messages revendicateurs qui viennent réellement souligner les inégalités subies par les habitants des quartiers populaires.
Des dizaines d’années plus tard, ce sont ces mêmes inégalités que viendront dénoncer des rappeurs comme Népal ou encore Nekfeu à l’encontre de ce même système dit capitaliste. En plus d’être très protestataire, Nekfeu est sûrement l’un des rappeurs qu’on pourrait le plus qualifier d’anti-système. Les entreprises, l’individualisme occidentale, la Bourse, le commerce, le chantage au salaire, tout ça pour lui c’est du vent ! Du vent que nous souffle la société qui présente ce système comme le seul et unique moyen pour “réussir” sa vie.
À l’image des groupes de rock des années 70 ou encore du mouvement de révolte de mai 68, le rappeur parisien dénonce donc ce système capitaliste qui transforme les gens en zombies. Ces derniers, prêts à tout pour sacrifier leur temps au profit de l’argent, en oublient le simple fait de vivre pleinement leur vie, d’approfondir leur passion ou encore de s’émerveiller de la beauté de la vie sur Terre. Cette philosophie, nous pouvons également la retrouver dans certains textes du rappeur Népal, dont le magnifique titre “Trajectoire” présent sur un album classique du rap français, Adios Bahamas.
Enfin, on peut également retrouver ce même combat face au capitalisme et au fameux "métro-boulot-dodo" dans les textes de Josman, Vald ou encore Damso.
Mais revenons à notre récit de départ, quelques années en arrière. Influencées par les premiers grands acteurs du mouvement hip-hop comme IAM ou encore NTM, de nouvelles figures du rap font peu à peu leur apparition dans la scène rap française au début des années 2000.
Les nouveaux rookies sont composés de groupes de rappeurs comme Lunatic, la Skred Connexion, ou encore SNIPER. À cette époque, le rap est plus que jamais catégorisé comme étant “une musique de cité” écoutée principalement par les jeunes de banlieues. Les inégalités se perpétuent et la frontière séparant les “racailles” des classes les plus aisées ne fait que s’agrandir, ce qui n’empêche pas pour autant les rappeurs de dénoncer les injustices commises dans leur pays. C’est l’ère du rap conscient.
Nous arrivons maintenant en 2004. “Le Front National (FN)” est au plus haut dans les sondages. Deux ans auparavant, le père de Marine Le Pen se trouvait déjà au second tour des présidentielles, provoquant alors un raz-de-marée de révolte et d'indignation à travers toute la France face à ce racisme grandissant. Un événement qui aura également marqué une jeune rappeuse, alors débutante dans un milieu artistique principalement composé d’hommes. Je parle bien entendu de la rappeuse Diam’s.
Dans son morceau intitulé “Marine”, cette dernière écrit une sorte de lettre rappée, adressée à la fille du chef du parti politique d'extrême droite. Avec la répétition du prénom “Marine” au début de chaque mesure, Diam’s nous livre alors un texte émouvant et moralisateur qui s’applique à éveiller les consciences quant au danger du Front National.
La haine, le rejet, la colère, l’isolement, voilà tout ce que propose ce parti politique qui, selon elle, s’oppose totalement à la vision du mouvement hip-hop. Un courant qui, à la base, souhaitait certes dénoncer les inégalités, mais aussi et avant tout mettre en avant les ressemblances entre les différentes origines et cultures au sein d’un pays imprégné par la force du métissage.
“Marine, dans le pays de Marianne, y’a l'amour, y’a la guerre, mais aussi le mariage
Marine, pourquoi tu perpétues les traditions ? Sais tu qu'on s'ra des millions à payer l'addition ”
En fait, ce que fait Diam’s dans ce morceau, c’est surtout souligner les incohérences totales entre les vieilles idées du parti politique auquel adhère Marine Le Pen, et les nouvelles mentalités de l'époque beaucoup plus axées sur la mixité sociale. L’heure est en effet plus au rassemblement, notamment après les beaux événements de la Coupe du Monde en 98 et de cette fameuse France “black, blanc, beure”.
Malgré cela, aux débuts des années 2000, une partie du peuple français est toujours réticente au mélange des cultures et prône un retour au nationalisme avec "une France aux français"...
“Marine, on ne sera jamais amies parce que ma mère est française mais qu'je ne suis pas née ici
Marine, on ne s'ra jamais copine parce que je suis une métisse et que je traîne avec Ali”
Avec l’énorme succès qu’on lui connaît, Diam’s aura finalement été une des premières rappeuses à prendre véritablement position contre un parti politique d’extrême droite. Un grand pas pour le hip-hop en France. Mais le combat continue et la guerre contre le racisme et les inégalités est loin d'être finie. D’ailleurs, à cette époque, contrairement aux États-Unis, le rap français n’est toujours pas à la mode et une grande partie de la population continue à mépriser ce genre, préférant écouter la musique pop des années 2000 ou le rap américain.
Nous arrivons en 2006. Nicolas Sarkozy va bientôt être élu président de la République, et le racisme ne fait qu’augmenter en France. Le rappeur Despo Rutti sort alors un morceau qui va faire polémique à l’époque, et qui est aujourd’hui considéré comme un incontournable du hip-hop français. Dans ce morceau intitulé “Arrêtez”, le rappeur s’attaque aux politiques, mais aussi et surtout à tout un ensemble de médias français qu’il accuse de “grossir le trait” et de nourrir les clichés sur les “mecs de cités” (contribuant au passage à faire monter le racisme en France). Le rappeur s’insurge également contre l’extrême droite et contre toutes les personnes qui commettent des actes de racisme dans son pays.
Pour Despo, les médias font donc partie intégrante de ce système qui diffusent des images de haine et contribuent ainsi à alimenter le conflit entre les banlieusards et les classes plus aisées de la société. Cet avis continuera d'être partagé par la plupart des rappeurs français de la nouvelle génération, quelques années plus tard.
Nous arrivons ensuite en 2008 où un événement majeur vient de se produire de l’autre côté de l’Atlantique. Barack Obama vient d’être élu président des États-Unis, devenant ainsi le premier homme noir à accéder à ce poste. C’est un changement majeur et une grande victoire contre le racisme aux États-Unis et partout dans le Monde. Le problème du racisme est-il réglé pour autant ? Pas vraiment, et c’est ce que le rappeur Guizmo dénoncera d’ailleurs dans une phase somptueuse présente sur le morceau “Ma haine est viscérale”.
"Dans ma tête j'suis dans un délire, parano et méfiant, Barack.O est président mais j'suis toujours un sale nègre !" Guizmo, Ma haine est viscérale
Entre 2008 et 2012, le rap français connaît une période de creux avec seulement quelques grosses têtes d’affiche qui se partagent le gâteau : Rohff, La Fouine ou encore Booba. Cependant, d’autres rappeurs moins connus par le grand public comme Salif, Sefyu, Sinik ou encore Tandem continueront eux aussi de dénoncer un système qu’ils jugent toujours aussi injuste et inégalitaire qu'auparavant.
Nous arrivons alors en 2012. Après une grande période d’errance, le rap français retrouve de sa superbe avec un nouveau mouvement venu tout droit d’Atlanta, la trap. Ce genre, qui prône principalement le crime et la violence, donne un second souffle et un air de renouveau au rap français qui avait peu à peu fini par lasser ses auditeurs avec ses prods boom-bap et son rap conscient. Accusé de banaliser la violence et d’influencer la jeunesse, beaucoup de rappeurs comme Sadek par exemple, viendront défendre la trap, et plus globalement le rap, en donnant des explications concrètes sur ce genre musical toujours incompris et rejeté par les Français. Selon Sadek, ce n’est pas le rap mais la vie elle-même dans les quartiers qui est violente. Les rappeurs ne font alors que retranscrire cette triste réalité dans leurs textes.
En réalité, loin des images clichées qu’on donne au rap, beaucoup de rappeurs sont pour la Paix et le Partage. On peut par exemple citer PNL, qui prônent l’amour de tous les drapeaux, ou encore Kendrick Lamar qui insuffle beaucoup de messages d’amour et d'union dans sa musique et dans ses différentes prises de parole.
De plus, de nombreux auditeurs de hip-hop insistent sur le fait qu’on ne devient pas violent en écoutant du rap. C’est comme si on allait voir un film de gangster et qu’on avait envie de tuer tout le monde à la sortie du film, ça n’a absolument aucun sens. En fait, les rappeurs utilisent souvent dans leurs chansons une forme d’ego-trip assez violente pour proposer de l’entertainment et divertir leur public. Mais cela n’est que du divertissement ! La question peut alors se poser sur le discernement des jeunes entre le mythe et la réalité.
C’est donc dans ce contexte que des Gradur, Niska, ou encore Kaaris, le roi de la trap, vont faire leur apparition.
“Sort les kalash comme à Marseille” ! Le temps est moins aux revendications mais plutôt à l’expression d’une liberté individuelle et financière. Cette époque sera par ailleurs qualifiée de la période du rap ego-trip. Vu d’un très mauvais œil par le gouvernement et les instances politiques du pays, plusieurs polémiques éclateront tour à tour à propos des textes de rappeurs, notamment auprès d’un jeune rappeur originaire de Caen, accusé de misogynie dans sa chanson “Saint Valentin”.
Par la suite, des dizaines d’autres polémiques s’enchaîneront, continuant ainsi d'alimenter toujours plus les clichés de violence ou encore de non-respect des femmes dans le rap. L’une des polémiques les plus connues est sûrement celle du rappeur Damso, accusé en 2018 d’incitation à la violence et de misogynie.
Plus récemment, c’est le rappeur Freeze Corleone qui était accusé directement d’antisémitisme, lui offrant alors une belle publicité pour son album "La Menace Fantôme" sorti le 11 septembre 2020... Ce dernier répondra à ses accusations par un simple morceau intitulé “Shaktav”, que l’on peut retrouver dans son dernier album "ADC", renvoyant ainsi la balle au camp adverse.
Revenons-en à la confrontation entre les rappeurs et les hommes politiques. Dans le paysage politique français, les vagues de délits commises entre 2005 et 2017 comme l’affaire François Fillon, les procès de Nicolas Sarkozy ou encore l’affaire Jérôme Cahuzac ont poussé certains rappeurs à s’indigner quant à l’ultra-protectionnisme accordé aux politiciens.
En fait, ce que les rappeurs reprochent au système judiciaire, ce n’est pas tant de juger et de condamner les jeunes de banlieues qui tombent dans le trafic ou dans la violence, mais c’est surtout de ne pas appliquer des sanctions égales aux hommes politiques.
Les rappeurs dénoncent également le fait qu’aucune solution digne de ce nom ne soit proposée aux jeunes de quartier pour s’en sortir. Les classes aisées, de leur côté, pensent seulement à s’octroyer pour elles seuls toutes les richesses du pays. En fait, si les jeunes de banlieue tombent dans la vente de drogue et les délits en tout genre, ce n’est donc pas tant par choix mais par survie.
Enfin, et c'est sûrement l'un des points les plus importants de ce conflit entre le rap et la justice française, les rappeurs dénoncent le fait que de vraies sanctions ne soient pas appliquées pour des infractions plus graves qu'une simple vente de drogue. Les violences faites aux femmes sont par exemple un point évoqué par le rappeur PLK dans ses chansons et dans plusieurs de ses interviews. Selon lui, ces actes devraient être beaucoup plus surveillés et sanctionnés par la police plutôt que de traquer des jeunes de cité à longueur de journée.
On le comprend donc bien. La politique et le rap, ça n’a jamais été l’amour fou. En 2014, une grande partie de la population n'a toujours pas adhéré à ce mouvement musical qui, selon certains, comporte trop de haine, de messages violents de textes durs selon certains. Et pourtant, un événement allait venir tout faire basculer. Nous arrivons en 2015, et l’avènement d’une ère nouvelle et libératrice pour le rap français se murmure partout dans le pays. Un nouvel espoir pour le hip-hop… C’est l’arrivée d’un jeune homme de 25 ans qui va littéralement faire basculer le rap français à tout jamais dans une autre dimension.
Bon, à cette époque, nous ne le savions pas encore à l’époque, mais on assiste à ce que l’on va appeler plus tard la gentrification du rap en France.
Le 8 juin 2015 (soit il y a presque 10 ans, aïe aïe le coup de vieux), un jeune rappeur du nom de Nekfeu sort son premier album solo intitulé “Feu”. C’est alors un véritable raz-de-marée à travers tout le pays. Le jeune rappeur parisien, membre d’1995, écoule, en seulement quelques mois, des milliers d’exemplaires de son album. À noter que quelques années plus tôt, le groupe Sexion d'Assault avait lui aussi permis de faire découvrir le rap français au grand public. Mais c'est véritablement avec cet album du rappeur parisien que le rap explose enfin en France. En 2017, le projet sera certifié disque de diamant. Ce qu’il s’est passé, c’est que Nekfeu a sorti un album de rap certes, mais avec de nombreux morceaux aux ambiances pop/électro, notamment avec les titres que vous connaissez tous, “On verra”, “Égérie” ou encore “Ma dope”.
Nekfeu permet alors, tout comme Eminem aux débuts des années 2000, de faire connaître et apprécier le rap à des millions de jeunes Français qui n’avaient jusqu'alors jamais écouté de hip-hop. Loin des clichés de cité et des messages violents, les morceaux de Nekfeu se veulent plus fédérateurs. Ils comportent également plus de messages d’espoir, sans pour autant délaisser le combat initial du hip-hop qui vise à dénoncer les inégalités. Pour la première fois avec Nekfeu, les jeunes accèdent ainsi à ce que beaucoup vont appeler plus tard le rap technique.
Le reste de l’histoire on la connaît tous. Le rap devient “à la mode” et des dizaines et dizaines de nouveaux rappeurs se mettent à péter en quelques années. SCH, PNL, Niska, Damso, MHD, Maes, Ninho, Jul, Sadek, Leto, etc... la liste est longue !
Complètement rejeté de la population français quelques années auparavant, le rap devient alors, en l’espace de 3 ans, la musique la plus vendue et la plus écoutée en France. (source Pure Charts)
De l’autre côté de l’Atlantique, tout se passe aussi très bien pour le rap US. Les Kanye West, Drake, Kendrick Lamar, Young thug, ou encoreTravis Scott sont eux aussi des chanteurs “mainstream” dans un pays où la culture hip-hop est plus que jamais d'actualité. Ça y est ! Nous y sommes donc arrivés. Le hip hop a brisé ses chaînes et n’est plus rejeté par la société. Partout dans le Monde et en France, tout le monde écoute du rap… même les hommes politiques…
Ok tout le monde écoute du rap, les députés citent du SCH à l’Assemblée c’est cool. Mais la situation sociale du pays s’est-elle apaisée pour autant ?
En fait, pas vraiment… voir pas du tout. Le 19 Juillet 2016, Adama Traoré, un jeune homme à la peau noir se fait arrêté par la police et décède quelques heures après un contrôle musclé réalisé par les forces de l’ordre. Un an plus tard, c’est l’affaire Théo qui viendra rajouter de l’huile sur le feu et attiser la colère des quartiers populaires. De plus, le pays est toujours en proie à de violents propos racistes proférés par l’extrême droite. Les élections présidentielles arrivent à grand pas et Marine Le Pen est assez haut dans les sondages. La situation en France semble plus que désespérée, et de nombreuses vagues de protestation contre le système raciste et la police apparaissent alors dans la sphère rap ! 13 Block, Josman, Guizmo, et bien sûr comme toujours Nekfeu, montent à la charge.
Enfin, le 25 mai 2020, un terrible événement se produit dans l'État du Minneapolis aux États Unis. George Floyd, un Afro-Américain de 46 ans, se fait assassiner par Dereck Chauvin, officier de police blanc de 44 ans. Les démons du passé ressurgissent… C’est un retour à zéro.
Après plusieurs mois de révolte, la situation s’apaise petit à petit. Le mouvement Black Lives Matter aura tout de même fait naître aux Etats-Unis, et partout dans le Monde, un sentiment d'indignation général. L’essence première du hip hop semble alors renaître de ses cendres. On pensait en avoir fini avec le racisme ? Et bien non… Il faut agir, il faut dénoncer, il faut combattre ces crimes racistes qui se déroulent partout dans le Monde. Et en France, pour protester et revendiquer des messages de révolte, c’est souvent les mêmes qui s’y collent. On retrouve les PLK, Sadek, Dinos, Alpha Wann, Josman, Nekfeu, mais aussi d'autres rappeurs comme Bekar ou encore Damso.
Le racisme est donc partout en France, et les rappeurs issus de quartiers populaires se doivent de remonter à la charge et de dénoncer ces inégalités qui persistent. Pour nuancer un peu ce propos, on peut tout de même dire qu’un sentiment de fierté nationale reste plus que présent dans la sphère rap, notamment avec l’amour pour l’équipe nationale de football et la fierté d’être à la fois français et originaire d’une autre culture.
Malgré la gentrification du rap avec Nekfeu et la démocratisation du hip-hop en France qui a permis de rassembler les communautés, les cicatrices du passé semblent donc être trop profondes. Le milieu du rap ne supporte plus cette hypocrisie, et surtout ces violences à répétition perpétuées par un système injuste et inégalitaire. En juin dernier, c’est un adolescent de 17 ans, Nael, qui se faisait tuer par un gendarme français lors d’un contrôle de police. La tension est intense, partout en France. L’extrême droite semble remonter très haut dans les sondages. Le combat du mouvement hip-hop, 50 ans après, ne semble toujours pas être fini…
Après des années de travail pour casser les barrières et rassembler les communautés, la division entre les deux pans de la société reste donc toujours très présente. Une question pourrait alors se poser : le rap doit-il vraiment se politiser ? Autrement dit, cela sert-il vraiment à quelque chose que le rap s’exprime sur la situation sociale d’un pays qui semble malgré tout continuer de se dégrader et de répéter les mêmes erreurs depuis 50 ans ? Au final, je pense que l’essence même du hip-hop réside dans ce combat contre la discrimination et l’exclusion des minorités. Nous l’avons vu à travers l’histoire : le rap est né d’un constat. Un constat d’humiliation, de rejet et d'oppression raciale. Le hip-hop ne cessera donc jamais de dénoncer ces injustices qui sont la source même qui l’a créé.
Le jour où il n’y aura plus de violence, plus de discrimination, plus de racisme, je pense que le hip hop s’éteindra de lui même, comme un bon soldat qui a rempli son devoir. Et je pense malheureusement qu’on peut bien attendre avant que ce jour arrive. La meilleure solution en attendant est peut-être, non pas de déposer les armes, mais plutôt de proposer une musique qui rassemble, comme le fait le hip-hop depuis des dizaines d’années en se mélangeant aux différents genres musicaux. Et comme le dit Jay-Z, le plus important, c’est la musique qui vient du cœur, hip hop ou pas hip hop !
Merci à tous d'avoir pris le temps de lire cet article ! Et je vous dis à bientôt pour un article 100% hip-hop sur Rap Chroniks !
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